En tenant compte de vos remarques, et en changeant le temps et le point de vue du narrateur (point de vue omniscient au lieu d'un récit à la première personne), voilà ce que donne l'intro remaniée. Qu'en pensez-vous ? Le récit à la première personne était contraignant pour certaines tournures de phrases et rendait difficile certaines descriptions, et une narration au passé, même si elle fait moins "sur le vif", passe mieux je trouve... Non ?

23 Novembre 1850. Campagne Ouest de Londres

Cela faisait maintenant deux heures qu’ils étaient partis. Et depuis deux heures, la pluie n’avait pas daigné les épargner un seul instant. Elle crépitait de manière ininterrompue sur la toile du cab dans lequel la passagère était installée. D’un geste instinctif, elle remonta le col de son manteau. Elle ne put s’empêcher d’avoir une pensée pour son cocher, qui lui devait être complètement détrempé. Etouffé par les parois du cab, le trot du cheval berçait la jeune fille. La pauvre bête peinait à conserver son allure, tant ses pattes étaient alourdies par les amas de boue agglutinés autour de ses pâturons.

Du bout des doigts, elle écarta le rideau et contempla la campagne anglaise. Le même paysage les accompagnait depuis qu’ils avaient laissé derrière eux les dernières maisons de la banlieue londonienne. De bocage en verger, le même vert humide leur donnait l’impression de n’avoir pas progressé. Les quelques voyages qu’elle avait eu l’occasion de faire lui avaient pourtant appris qu’elle affectionnait cette douce monotonie. Ce calme l’aidait à se sentir bien. Elle avait la sensation d’être chez elle.

Perdue dans ses pensées, la passagère ne se pas rendit pas compte qu’ils approchaient de leur destination. La voiture traversa le village sans ralentir, éclaboussant les rares habitants encore dehors.

Après avoir dépassé les dernières maisons, ils s’arrêtèrent enfin, au bord d’une rivière gonflée par les pluies, devant le moulin du village. Bien que l’après-midi ne fut pas très avancé, le temps déplorable assombrissait considérablement l’atmosphère, et la lampe tempête allumée dans le porche d’entrée leur apporta un peu de réconfort. Une fois de plus, la jeune fille s’interrogea sur le dessein des puissances supérieures qui se jouaient d’eux en les envoyant presque toujours en intervention dans des conditions aussi exécrables qu’en ce jour. C’était sans nul doute l’ironie du sort.

La porte du cab s’ouvrit et laissa apparaitre le visage rond et avenant d’Edward. Le cocher était effectivement complètement détrempé. L’eau qui ruisselait sur les bords de son chapeau dégoulinait sur sa vieille cape élimée. Il avait l’air éreinté mais son visage se fendit pourtant d’un sourire tandis qu’il s’effaçait pour laisser descendre la jeune fille.

- Nous voici arrivés, si Mademoiselle veut bien se donner la peine.

A peine avait-t-il terminé sa phrase qu’une bourrasque s’engouffra dans l’habitacle et arracha un frisson à la passagère. Un véritable temps de chien, assurément. Elle vérifia rapidement sa mise, posa ma main gauche sur le bras tendu d’Edward, souleva légèrement sa robe de voyage de la droite et descendit le marchepied métallique. Ses bottines firent un bruit de succion lorsqu’elles atteignirent le sol. Un mélange d’odeurs d’humus, de terre mouillée et de sous-bois assaillit ses narines. Edward s’empressa de la protéger d’un parapluie arrivé d’on ne sait où entre ses mains. Il faudrait qu’il lui explique un jour s’il ne possédait pas quelque don de magicien qu’il lui aurait caché.

Elle balaya les lieux du regard. La scène était lugubre. Le moulin à aube était dans un piteux état. Des plantes grimpantes avaient commencé à prendre les murs d’assaut, et pénétraient à l’intérieur par les vitres brisées des fenêtres. La pierre se délitait par endroits et la roue, sous les assauts du torrent, laissait échapper des grincements graves au lieu de tourner à pleine vitesse. La rouille avait commencé son œuvre sur toutes les pièces métalliques qu’elle pouvait deviner à travers le rideau de pluie. Comment quelqu’un pouvait-il encore habiter ici ?

La jeune fille ferma les yeux un instant et se concentra.

Bien.

Ils ne se seraient pas déplacés en vain. Il y avait effectivement quelque chose. Et elle se faisait fort de régler cette affaire au plus vite.

Elle se dirigea vers le porche de pierre et Edward lui emboîta immédiatement le pas, esquivant les flaques tout en la protégeant de la pluie. La lampe tempête oscillait sous les assauts du vent, lançant des lueurs changeantes à travers le rideau de pluie. Pressant le pas, ils se réfugièrent sous le porche et, une fois à l’abri, secouèrent leurs vêtements pour éviter de trop tremper l’intérieur, bien que cette précaution fut sans doute inutile, au vu de l’état de décrépitude dans lequel se trouvait le bâtiment. D’un geste forgé par l’habitude, elle tenta de replacer son indisciplinée mèche rousse derrière son oreille droite.

Son cocher finit d’égoutter le parapluie puis frappa énergiquement contre la lourde porte en chêne.

Aucune réponse.

- Holà, du moulin ! Que l’on vienne nous ouvrir, voici arrivée Lady Cuttington, mandatée par la R.S.S.I.

Toujours pas âme qui vive.

Enfin, dans un grincement sinistre, la porte s’entrouvrit lentement.